Mardi 28 septembre. Je profite de la place offerte dans le pick-up de mes collègues d'Aj Quen pour aller à la rencontre de deux groupes de tisserandes Q'eqchi' de l'Alta Verapaz. La communauté Q'eqchi' regroupe plus de 850 000 Guatémaltèques et forme, en importance, la deuxième communauté maya du pays. Les Q'eqchi' résident principalement dans le nord et l'est du pays et parlent une langue maya portant le même nom que celui de leur communauté, le q'eqchi', qu'on retrouve essentiellement au Guatemala et au Belize.
Pour atteindre le village de Chitzunun, proche de la ville de Coban, située à plus de quatre heures de la capitale, le pick-up quitte l'asphalte et emprunte un chemin de terre longé par des femmes vêtues de leur huipil traditionnel et lourdement chargées. En avançant sur ce sentier, nous pénétrons au coeur de la vie paysanne de la communauté Q'eqchi’. Le moment de cueillir la cardamome est arrivé, de nombreuses femmes sont ainsi sollicitées pour la cueillette, et c’est également un jour de marché, d’où une grande affluence vers le centre du village.
Quelques centaines de mètres plus haut, une dizaine de femmes nous accueille et nous invite bientôt à prendre place avec elles, afin d’échanger et de programmer ensemble les activités prochaines de leurs deux groupes de tisserandes ici réunis. Quasiment aucune ne parle espagnol, et c’est le Président d’Aj Quen, José Victor Pop, qui se colle à la traduction, étant natif de cette région.
Concrètement, il s’agit aujourd’hui de préparer la tenue d’un atelier de formation technique, qui sera donné au cours du mois d’octobre, et de planifier la production de foulards multicolores commandés par un client autrichien. Dans le même temps, c’est l’occasion pour les dirigeants de reprendre contact avec ces groupes de femmes, après plusieurs mois de vache maigre. Les commandes de l’étranger ont en effet pas mal diminué ces derniers temps, en partie à cause de la crise économique mondiale.
Les femmes présentes à la réunion se montrent donc motivées à reprendre le travail avec Aj Quen, tout en faisant part de leur préoccupation face au peu de commandes. Un peu plus tard, lors de l’entrevue que je réaliserai avec la Présidente de l’un des deux groupes (ASODEMI), Estela Pop Caal, celle-ci m’expliquera que le revenu généré par l’artisanat leur permet tout juste de subvenir à leurs besoins; le revenu tiré par l’agriculture n’étant pas suffisant à lui seul pour couvrir l’ensemble des nécessités du foyer.
La Présidente de l’autre groupe de femmes (Rii Itzam), Felipa Jesus Pop, me fera également part de leurs difficultés de plus en plus grandes à joindre les deux bouts: ayant commencé à travailler comme artisane à l’âge de douze ans, elle me parle d’une autre époque où leur production textile leur servait principalement pour leurs besoins vestimentaires domestiques et sinon comme monnaie d’échange contre d’autres produits issus de la communauté. Ainsi, le troc représentait jusqu’il y a peu la forme de commerce prédominante de ces communautés isolées des montagnes de l’Alta Verapaz. Mais aujourd’hui celui-ci n’est plus suffisant pour combler leurs besoins, d’où la recherche d’autres revenus grâce à l’artisanat et notamment leur participation depuis dix-huit ans au sein du réseau d’Aj Quen, une association nationale de commerce équitable formée par 26 groupes de femmes tisserandes.
Aj Quen est en quelque sorte le bras commercial dont se sont dotés ces groupes de femmes tisserandes à la fin des années 1980, de manière à trouver de meilleurs débouchés commerciaux pour leurs produits tout en préservant leur identité culturelle. Et cette association est fière d’avoir travaillé depuis ses débuts selon les principes du commerce équitable, aujourd’hui très en vogue. Les produits de ses différents groupes de femmes sont ainsi commercialisés dans la chaîne de magasins Dix Mille Villages du Canada et des États-Unis, ou encore dans les Magasins du monde d’Oxfam en Belgique (Pour plus d’information sur Aj Quen, visiter http://www.ajquen.com/).
L’autre avantage que trouvent ces femmes à participer à ce regroupement est de pouvoir bénéficier de tous types de formations, aussi bien techniques que théoriques, celles-ci allant du renforcement de leurs compétences en design à l’amélioration de leurs connaissances en égalité hommes-femmes ou en commerce équitable. Enfin, les équipements techniques tels que les métiers à tisser (surtout ceux à pédales) coûtent très chers, ainsi que l’approvisionnement en fils de bonne qualité. L’association leur procurant ces équipements et cette matière première, elles s’épargnent de gros investissements synonymes d’endettement à long terme. Mais ces femmes ne sont pas simplement bénéficiaires de ces programmes; elles participent également à la prise de décisions par l’entremise de leurs représentantes locales, lors des réunions organisées par Aj Quen au niveau national.
Finalement, le groupe ASODEMI nous montrera son local de production, une pièce relativement sombre issue de la maison de la Présidente du groupe, qu’elle a prêté afin d’y entreposer les métiers à tisser sur lesquels les femmes travaillent. Puis elles nous feront visiter fièrement le terrain où se construit peu à peu leur futur atelier de travail, au gré des revenus générés et épargnés par le groupe. Après avoir acheté le terrain, elles sont parvenues à acheter des matériaux de construction (bois et tôle) et les hommes du village ont fourni leur appui pour commencer à le bâtir. Si les commandes redeviennent plus régulières et qu’elles arrivent à acheter les matériaux manquants, elles pourront bientôt y installer leurs métiers à tisser et bénéficier de meilleures conditions de travail.
Pour voir l’entrevue avec la Présidente du groupe ASODEMI, sous-titrée en français:
http://vimeo.com/15477784
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