vendredi 19 novembre 2010

Emilia Raxtún Chiroy, une vraie leçon de courage

Du haut de ses 24 ans, Emilia Raxtún Chiroy a le profil typique d'une jeune femme Maya: vivant à la campagne, dans une communauté Cakchiquel du département de Sololá, elle revêt fièrement le huipil* traditionnel de sa région tout en restant discrète, souriante et quelque peu mystérieuse. Elle parle principalement le Cakchiquel, la langue de sa communauté maya, et s'aventure de temps à autres à échanger en espagnol, avec lequel elle semble moins à l'aise. Vive d'esprit, observatrice et généreuse, elle porte attention à tout ce qui se passe autour d'elle et fait preuve d'un grand intérêt pour son entourage. Comme la plupart des femmes Mayas, Emilia est assez petite, et son expression déborde d'humilité et de gentillesse.

Aussi cela peut-il paraître étonnant de l'entendre se présenter comme étant la Présidente du groupe Amanecer**, c'est-à-dire la meneuse d'un groupe de huit femmes tisserandes de sa communauté. D'autant plus que leurs affaires tournent rondement, ayant répondu à pas moins de 35 commandes en 2009 et déjà 24 autres en date d'octobre 2010, avant même la période des fêtes synonyme d'effervescence au niveau de l'activité artisanale. De plus, leurs revenus totaux ont augmenté de 50% entre 2006 à 2009, passant de 30 000 à 45 000 Quetzals*** (soit de 3 800$ à 5 700$ - USD) en l'espace de trois ans. Si cela peut sembler bien peu d'argent à côté des revenus gagnés dans les pays dits développés, au niveau du Guatemala cela représente un gain précieux et non négligeable.


Plusieurs raisons peuvent expliquer ce succès. En premier lieu, le commerce équitable. Les femmes de la communauté se sont d'abord rendu compte des divers avantages offerts par celui-ci et notamment de la différence entre le prix payé par les intermédiaires locaux et le prix offert par le commerce équitable, en l'occurrence par l'association Aj Quen; par exemple, un sac traditionnel est vendu à 12Q (1,50$) à un intermédiaire, tandis qu'Aj Quen l'achète à 15Q (1,90$, soit 25% de plus). Elles ont ainsi décidé de devenir membre de ce regroupement d'artisanes et de travailler exclusivement pour les clients de cette association. D'autre part, ces femmes ont fait de la confection leur spécialité. Appuyées par Aj Quen, elles ont investi de leur temps pour se former à l'utilisation de machines à coudre et ont été dotées de plusieurs machines pour leur communauté, ce qui leur confère un net avantage à long terme pour la réalisation de travaux de confection, plus complexes mais plus payants. Elles figurent ainsi parmi les rares groupes de femmes capables de travailler avec de telles machines, tout en continuant de vivre à la campagne et selon leur mode de vie traditionnel, perpétuant par là-même leur culture ancestrale tout en s'adaptant à la modernité.

Récemment, Emilia accueillait chez elle une délégation belge et notamment une équipe de télévision de ce pays, afin de leur présenter en quoi consistait son travail et l'impact du commerce équitable pour son groupe de femmes, qui s'était réuni pour l'occasion. Aussi ne manqua-t-elle pas de les mener à son atelier afin d'exhiber fièrement sa machine à coudre. Elle leur expliqua également leur réalité: très jeunes, les filles apprennent à préparer le fil qui sera tissé par leurs mères et dès leur adolescence, elles commencent le métier de tisserande. Pour sa part, Emilia fut initiée dès l'âge de huit ans et débuta comme tisserande à 14 ans, tout en poursuivant ses études.


Très travailleuse, elle est l'une des femmes les plus actives et productives du groupe Amanecer, retirant par conséquent un revenu légèrement plus élevé que la moyenne du groupe, soit environ 6 500Q par an (un peu plus de 800$). Célibataire, elle vit encore chez ses parents, des agriculteurs exploitant un petit terrain à côté de leur maison, et compte huit frères et sœurs. C'est pourquoi elle contribue avec cette somme à subvenir aux besoins essentiels de la famille, pour assurer l'alimentation, la santé, l'éducation et les achats de vêtements de toutes et tous. Cependant, même avec la production agricole de son père, l'ensemble de leurs gains peine à couvrir l'ensemble des besoins de la famille.

Selon Emilia, cela est également le cas de ses partenaires dans le groupe, la plupart des mères de famille ayant une dizaine de bouches à nourrir. En outre, l'activité artisanale est essentielle pour leur foyer, ces femmes contribuant en moyenne à 50% des revenus totaux de la famille. Emilia se démène donc afin de générer des commandes, en sa qualité de représentante du groupe. C'est elle qui fait les nombreux déplacements en autobus vers le siège de l'association, situé à plus de deux heures de route de sa communauté, pour participer aux réunions et pour apporter les produits confectionnés. Par ailleurs, Emilia est très rigoureuse avec les délais: lors de sa dernière livraison de 510 diadèmes en tissu, elle débarqua à l'association à 8 heures du matin, l'heure d'ouverture du bureau!


Enfin, Emilia est très consciente du manque à gagner de sa famille, et désireuse de voir ses frères et sœurs aller le plus loin possible dans leurs études, elle fabrique artisanalement toutes sortes de bijoux, afin de se procurer un second revenu représentant environ le tiers de ses gains totaux mensuels. Avec la vente de ces colliers, de ces boucles d'oreilles et de ces bagues, elle estime en effet gagner environ 250Q par mois (32$), totalisant ainsi près de 800Q par mois, soit un peu plus de 100$, un revenu plus qu'honorable pour une jeune femme Maya, mais qui reste cependant bien bas pour une personne de sa trempe...


* Tunique aux motifs colorés portée par les femmes Mayas. Chaque région possède un huipil avec ses propres motifs et couleurs, de manière à distinguer la région d'appartenance de la personne qui la porte; à noter que malgré son caractère traditionnel, depuis plusieurs années le huipil revient à la mode chez les femmes Mayas, fières de montrer leurs origines autochtones

**"El amanecer" signifie "le lever du jour", en espagnol

***Le Quetzal est la monnaie officielle du Guatemala. 1 Quetzal (Q) équivaut actuellement à 7,90 Dollars américains (USD). Le Quetzal est aussi un magnifique oiseau qui est l'emblème du Guatemala et figure au centre du drapeau national.

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